Faire pour défaire ses chaînes

Cela fait quelques années que je me suis lancé dans l'apiculture. Comme tout bon "bobo" qui va vivre à la campagne, je me devais de faire ça.C'est que je ne dois pas être un "bobo" très normal. Alors que le "bobo standard" va dans un rucher école, puis suit à la lettre ce qu'on lui dit, puis se présente à tous ses amis comme un sauveur de la planète, j'ai pris, quand à moi, le parti de chercher la petite bête. Quel sale caractère, diraient certains.

Mais voilà: si on a un minimum de capacité d'auto-critique et de volonté de s'améliorer, on ne peut s'arrêter au fait de suivre le troupeau. Et force fut de constater que les apiculteurs amateurs voulant "participer au sauvetage des abeilles" sont bien un troupeau.Je sais, 90% des apiculteurs qui liront la suite, me maudiront ou me mépriseront, c'est selon. Tant pis.Alors, de quoi s'agit-il ?Une des premières choses qui m'ont retourné l'estomac fut de voir tout un tas de gens soit disant amoureux des abeilles s'émerveiller devant une ruche en polyester, ou des planchers en plastique. Comment peut-on vouloir améliorer la vie des abeilles ainsi ? Un gouffre me séparait d'emblée de la plupart de mes collègues, à quelques notables exceptions près.

Parce que j'ai vu que l'émoi n'était pas du tout présent chez beaucoup, je précise ici comme je le ferai pour une blague ratée: le plastique et le polyester sont définitivement des matières nocives pour la nature, à la fois localement et globalement. Localement parce que l’impression de propreté recherchée est totalement un biais humain, au même titre que le fait de tailler les haies au ras du sol, d'avoir 5000m2 de gazon ou de remplacer le-dit gazon par du gravier ou du béton. C'est totalement débile de croire qu'un matériaux ne permettant aucun respiration et certainement toxique dans la plupart des cas puisse fournir un abris bénéfique à tout être vivant. Globalement parce que le plastique c'est la plupart du temps une plaie pour la vie sur Terre. Le pire c'est que les ruches plastique ou polyester pullulent alors même que les humains reviennent à des constructions de maisons en matériaux naturels. Un comble. Mais un business comme un autre et une facilité apparente pour l'apiculteur.

C'est loin d'être le seul sujet. Voici une liste non exhaustive des griefs que je peux retenir:

- pour la plupart des apiculteurs professionnels (sauf exception, encore une fois), la production de miel est maintenue grâce à un apport massif en... sirop. Ainsi, les abeilles sont certainement juste des machines à transformer sucre industriel en miel... industriel. Et c'est bien plus répandu qu'on veut bien vous le dire, même chez ceux qui utilisent l'abeille comme un paravent de vertu pour cacher la misère de la survie. J'allais écrire "cupidité"  au lieu de survie, mais, je dois être honnête, peu d'entre eux pourraient espérer vivre de leur métier s'ils ne faisaient pas ça.

- quasi-tous les apiculteurs traitent leurs ruches contre le varroa. Avec une famille de néonicontinoïdes ! Alors que l'UNAF, le syndicat le plus vert des deux grands syndicats apicoles (l'équivalent apicole de la Confédération Paysanne) passe son temps à pourfendre l'agriculture industrielle pour son utilisation de ces produits, on les utilisent allègrement pour maintenir la production de miel. Paraît-il ce n'est pas les mêmes et pas pareil. C'est que personne ne se plaint au nom des éventuelles victimes, car tout en bas de la chaîne personne ne semble produire de l'argent.

- d'ailleurs le seul critère adopté par les apiculteurs pour jauger l'état des colonies (outre la mortalité), est la production de miel. Bof.

- aussi, on sélectionne les abeilles depuis un siècle sur la base de leur productivité et de leur douceur: je vais y revenir de suite.En somme, les abeilles des apiculteurs ne sont en rien différentes des vaches qu'on aura sélectionnés depuis 50 ans non pas sur des critères prioritaires de robustesse, mais de productivité. Tout est dit.


J'avais lu déjà que les ruches les plus agressives sont celles qui ont l’espérance de vie la plus élevée (au sens des colonies). Il se trouve que j'ai pu le vérifier. Un "fléau" bien connu du grand public est le frelon asiatique. Il est très simple d'observer que les ruches les plus agressives en moyenne (souvent les plus fortes), ne sont pas inquiétées par les frelons, car tout simplement trop risqué.

Cette année, par exemple, une de mes ruches est particulièrement agressive, au point que j'hésite à aller la voir, même équipé, c'est pour dire. Alors que la ruche d'à côté se fait attaquer sans cesse par des frelons en masse (jusqu'à une demi-douzaines en même temps), elle est singulièrement épargnée, pourtant à seulement 10m plus loin. Si cela avait était un fait ponctuel et unique, je pourrais douter, mais, à des niveaux plus ou moins spectaculaires, c'est relativement systématique.

Mais c'est tellement plus commode d'avoir un ennemi identifié et justifiant tous les maux. Les pesticides, le frelon et le varroa, voilà de quoi couvrir largement ses propres méfaits.
Est-ce un complot ? Pas vraiment. Nous faisons tous ça: nous choisissons le confort. Il est franchement périlleux de faire autrement. Il n'est pas dit du tout que les apiculteurs pourraient tous s'en sortir en appliquant les méthodes favorables d'abord aux abeilles. Et surtout pas sur le court terme. Car c'est tout à fait vrai que l'environnement s'est dégradé au point que la production s'effondrerait de toute manière. En concurrence avec du miel frelaté, il est plus facile d'espérer s'en sortir en adoptant les mêmes méthodes, tout en faisant payer le prix d'une soit disant prise en compte de l'écologie. Si moi je me permets de faire autrement, c'est d'abord que je ne dépends pas du revenu de ma minuscule production de miel.

Et tout le monde est content dans cette chaîne de l'échec, malgré les cris d'orfraies. L'apiculteur malin va vendre son miel sur le marché en le présentant comme un produit de luxe et en se présentant comme une victime. Le vendeur de matériel apicole industriel vend sa camelote et, pour que la boucle ait ce petit côté "hype" il y a la petite start-up de jeunes idiots qui se met à vendre sa petite balance connecté pour surveiller les abeilles comme on jouait d’antan au Tamagochi. On surveille les moutons par hélico et RFID, pourquoi pas les abeilles...

Pensez-vous que quelque chose va changer ? Rien. si ce n'est qu'en lisant ces lignes vous allez peut-être sentir la colère monter et vous lancer. Avoir ses ruches, c'est faire le système s'écrouler. Et pas en plastique svp !