Genèse et premières explications
L'association est née d'abord du pessimisme, il faut l'admettre. Cette idée que les choses tournent mal et qu'on ne peut rien y faire.
Mais quelle chance inouïe alors... Si on y pense un jour de printemps, au moment précis où la nature se réveille, on s'emplie alors du bonheur de pouvoir tout de même faire un peu.
Il faut avoir vécu un peu et pris quelques coups pour retrouver un peu de modestie. Jeune, je pensais conquérir le monde, mais le monde n'est pas à conquérir. Il s'agit plutôt d'un monde à vivre.
Faire à la hauteur de sa chance
Nous ne naissons pas égaux en chance, quoi qu'on essaye de nous faire croire. C'est bien aisée pour ceux qui ont réussi à saisir la leur de faire la morale à ceux qui ont échoué. Car saisir sa chance est une chance en soi. On a beau chercher un mérite, c'est juste du hasard, parfois peut-être le hasard d'être né plus doué, pourquoi pas.
Un hasard quand-même.
Il ne s'agit pas de pardonner tout à ceux qui échouent, mais pourquoi pardonner tout, ou presque, à ceux qui réussissent ?
Ainsi, de ceux qui ne se sont pas trop mal débrouillé dans leur vie, combien donnent au monde ce que le monde leur a donné ?
Chose très simple: combien redonnent ne serait-ce qu'à la Nature, ce qu'elle a bien voulu leur prêter le temps d'une vie.
Nous ne méritons rien si, a minima, on ne comprend pas ce fait si simple.
Faire, mais quoi ?
Mais en quoi cela consiste-t-il de rendre ? Qu'est que faire cela veut-il dire ?
Il y a quelques années j'en avais assez des Colibris, ces gens qui disent "je fais ma part" et qui se contentent parfois de si peu, tout en étant soulagés de croire qu'ils participent à un grand mouvement de leurs petits gestes. Je me suis rendu compte que ce n'est pas très bon de mettre tout le monde dans le même sac. Comme toujours.
Car dans le tas, il en a, et pas qu'un peu, qui font à la hauteur de leur capacités, mais surtout de leur parcours et destins respectifs. Comment, formatés dès le plus jeune âge par du prêt-à-penser, pourrait-il tout à coup sortir du moule et penser par eux-mêmes, surtout se réveiller au monde, se découvrir et se rendre utile aux autres ? Car le plus triste n'est pas l'inutilité éventuelle du petit geste, mais le fait que le principal gagnant en est l'auteur.
Soutenus par le gourou fournissant l'argumentaire et par la société qui intime à tous de trouver le bonheur, il est si facile de transformer le vivre ensemble en un simple alibi pour la recherche du bonheur immédiat. Après tout, le capitalisme n'a pas oublié ceux qui s'affirment alternatifs: il leur fournit tous les outils pour ne pas les perdre et, en particulier, le fameux développement personnel. Si vous êtes perdu, il y aura toujours quelqu'un pour vous fournir un bonheur 4.0 en échange de quelques sous. On cherche les petites sectes, mais le capitalisme n'en est-il pas lui même une ? Le culte de la croissance, de la consommation, le Dieu argent et ses gourou qui nous expliquent que tout cela n'est que l'immuable et seul possible cours des choses.
Alors, faire, mais quoi ?
Tout petit, mon père me disait "il n'y a d'important que ce que tu sais faire de tes mains". Il me disait beaucoup de choses, mais celle-là m'a particulièrement marqué. Et j'ai passé ma vie à apprendre à faire plein de trucs. Comme un enfant, j'ai toujours voulu comprendre tout pour pouvoir tout faire de mes mains. Evidemment, c'est infini.
Il y a quelque temps, dans une association qui se veut la rencontre de tous ceux qui pensent qu'un effondrement est en cours, j'ai croisé des gens qui montaient des "communautés résilientes" un peu partout. Et le profil du gars qui avait lancé le sujet m'avait particulièrement interpellé. Un gourou de l'innovation, d'après ce qu'il se décrivait lui-même sur les réseaux sociaux. Je lui ai posé alors une question simple: "que savez-vous faire de vos mains ?". Pour réponse j'ai eu son CV. Pas médiocre par ailleurs, mais si peu dense. Un parcours type du gars qui est parti de nul part pour devenir un jour chef et ne plus lâcher le morceau. Fort de son bagout, certainement de son intelligence, il a réussi. Mais quoi ? Sa réponse ne contenait pas l'essentiel: que sait-il faire de ses mains ? Qu'a-t-il à proposer aux autres ? Qu'a-t-il à partager ? De toute évidence et de sa propre présentation, juste "savoir diriger".
Nous vivons dans une société de chefs. Dès qu'il y a un groupe de plus de trois personnes, on veut y trouver un leader. On est imbibé de l'idée que rien ne marche sans quelqu'un qui décide au nom des autres. On protège le président comme un roi, mais qui protège le dernier graveur de lettres d'imprimerie ? L'un ne sait que donner des ordres, l'autres sait faire de la magie sur des poinçons.
Ne nous trompons pas: si les chefs font tout pour le rester, nous ne faisons rien pour qu'il y en ait plus. Parce que nous pensons certainement que notre salut passe par eux. Dans une société de l’hyper-spécialisation, mais aussi majoritairement de services avec la disparition rapide des manufactures de toutes sortes, nous nous sentons tellement fragiles, que nous mettons nos vies entre les mains du premier qui se déclare omniscient.
La solution ? Une seule: apprendre à faire de ses mains quelque chose d'utile aux autres. Voilà ce qu'il y a à faire.
Se libérer des chaînes
Ce qu'on ne perçoit pas, c'est que le savoir-faire est d'abord une libération.
Construire ou rénover sa maison soi-même, c'est comprendre, savoir réparer, gagner en indépendance financière etc. Evidemment, ce n'est pas l'exemple le plus général, mais il est parmi les plus spectaculaires: d'expérience, on peut s'épargner des dépenses de quelques dizaines de milliers d'euros. Un calcul simple peut réveiller les plus réticents: en neuf ou douze mois on gagne des dizaines de milliers d'euros qu'on ne dépense pas. Imaginons un congé sabbatique d'un an. On perd combien ?
Pour beaucoup d'entre nous bien moins que ce qu'on a gagné !
Mais construire une maison c'est aussi savoir la réparer, savoir aider son voisin, ne pas dépendre de tel ou tel artisan ou constructeur qui a fait faillite ou qui ne vous voit pas comme une priorité, etc. C'est parfois emprunter moins ou pas du tout, donc ne pas avoir besoin d'aller voir un banquier. Et ne pas avoir de dettes, c'est pouvoir juger les choses avec un regard serein.
C'est peut-être là le point le plus discutable de nos démocraties: chaque fois qu'on vote, pour une grosse part d'entre nous, nous le faisons avec le poids du crédit au dessus de la tête. On vote donc avec le ventre, pour un gain immédiat, un gain de survie. On ne vote pas pour nos enfants, tous nos enfants en tant que génération qui nous suit.
Vous allez me demander si les riches ou les aisés votent alors plus librement ? C'est une excellente question, très complexe. Peut-être, par exemple, que les bobos sont d'abord des gens aisés qui ont moins de contraintes et qui peuvent ainsi faire preuve de magnanimité en pensant aux générations futures. Peut-être est-ce pour cette raison qu'on y trouve plus d'écolos. Je soupçonne que la vérité est plus subtile. Dans une société hautement concurrentielle, le bobo a aussi des choses à défendre becs-et-ongle. Il y a une concurrence atroce entre les gens aisés et, l'avenir s'annonçant moins florissant, un effet de captation évident joue dans chaque geste. Entre autre, la plupart des gens aisés, ne sachant particulièrement pas faire grand choses de leur mains, sont extrêmement liés à la survie du système.
Faire, cependant, est le meilleur moyen de mener une forme de lutte des classes. Faire, c'est souvent faire ensemble. Faire, c'est proposer quelque chose d'utile à ses semblables. Faire c'est donc échanger. Le but n'est pas d'anéantir l'autre, mais bien de coopérer avec lui. Et le bobo blasé par sa vie de consommateur écolo se tourne parfois vers le fait de faire pour trouver un sens au temps qui passe. Puis, il y a le plus important: dans les classes aisés (et l'exemple du bobo en constitue évidemment la caricature qu'on véhicule tous), la grande majorité navigue, au fond, en équilibriste sur un fil tendu. D'un côté, elle constitue la horde de petits soldats du système, mais de l'autre elle est clairement exploitée par plus riches encore, exploitation qui tourne de plus en plus vers un décrochage par le bas.
Ainsi, la jonction semble pouvoir se faire: il y a l'occupant (le système) et une rébellion en cours. Selon moi, cette rébellion ne pourra se faire autrement que par la maîtrise du faire. Faire tout: se soigner, se nourrir, réparer, construire, concevoir, inventer, jouer de la musique, écrire et raconter.
Haiduk, késako ?
D'origine roumaine, tout petit je connaissais tout un tas d'histoires de haïdouks. C'est que le pouvoir communiste avait trouvé dans ces héros populaires un lien idéologique entre eux et les valeurs du partis. Inutile de m'étaler ici sur le fait que fondamentalement le communisme est juste une image miroir du capitalisme, un système qui implémente à la fois le productivisme et la hiérarchie récompensant ceux qui manipulent au détriment de ceux qui font. Ce n'est donc pas pour cela que le nom a été choisi pour l'association.
Il s'agit plutôt de l'idée de rébellion. Il faut se rebeller, choisir la montagne ou la forêt plutôt que les règles de l'envahisseur et, surtout, apprendre à se débrouiller, puis partager ses capacités avec ceux qui n'ont pas eu la force de se rebeller. Car les haïdouks étaient souvent des gens pluri-compétents et très utiles à une société écrasée par le système mise en place par les ottomans. Ils étaient parfois de valeureux paysans ou bergers, ils se débrouillaient avec pas grand chose et aidaient les plus pauvres. Certes, par nécessité propre, mais justement dans une symbiose sociale où tout le monde y trouvait son compte.
En même temps c'est un symbole de l'utilité d'une culture commune. En roumain, ma langue maternelle, cela s'écrit haiduc, mais j'ai choisi l'orthographe plutôt slave et adoptée en français, car il s'agit bien d'une culture commune à l'ensemble de l'Europe de l'Est. Si certains utilisent l'histoire des haïdouks à des fins nationalistes, on n'y peut rien, mais il s'agit bien d'une histoire partagée, certes liée à un ennemi commun, mais qui est d'abord un lien entre des peuples qui ont fini parfois par se haïr.
Si l'orthographe choisie ici est haïduk, ce qui donne haiduk.fr pour le site, c'est aussi pour rappeler le rôle du hasard. J'avais pensé à ce mot, mais je n'en était pas convaincu. Puis tout à coup je l'ai lu à la française et j'ai lu donc éduc. D'un coup c'est devenu une évidence: c'était le bon, car il s'agissait bien de parler d'éducation.
Le hasard nous fait, le hasard nous sauve ou nous anéantit, le hasard veille sur chaque instant de notre vie. Certains l'appellent Dieu, d'autres leur bonne ou mauvaise étoile... et qui sait. En tout cas nous ne devons jamais oublier ce qu'on lui doit de bon ou de mauvais.
De manière organisée
Et si on mettait les idées un peu dans l'ordre.
Quels est l'objet de l'association plus précisément ?
- apprendre et partager des savoir-faire concrets
- libérer ses membres et tous ceux que nous pouvons des contraintes du système
- (s')informer de manière fiable
Ainsi, sans être exhaustif:
- concevoir et fabriquer toutes les choses utiles
- réparer
- outiller
- fournir gratuitement tout ce qui peut raisonnablement l'être, sans oublier que le gratuit n'est sommes toutes qu'un concept marketing du capitalisme
- cultiver la terre et planter des arbres
- déconstruire la complexité du monde pour en partager les secrets et rendre ainsi le pouvoir à ceux qui n'ont pas le temps, ni l'envie d'être chefs.
Cela se passera par des ateliers de partage ou par des ateliers d'apprentissage où une personne réputée compétente dans son domaine viendra exposer concrètement son savoir.
Ce sera aussi ponctuellement des conférences sur des sujets pratiques et des solutions aux problèmes courants soulevés par les membres ou rencontrer localement, même si, les conférences, on les laissent à ceux qui ont du temps à perdre. Le concept d'université populaire en serait plus proche.
In fine, mais pas en dernier lieu, il s'agira de construire un tissu, des liens entre ceux qui font, puis entre ceux qui font et tous les autres qui n'ont pas encore décroché du système. Pour cela, l'association aidera à répandre non seulement le savoir, mais l'information sur ceux qui savent.
Car il s'agit bien de s'insérer dans le tissus local, travailler pour ses voisins et pour la communauté qui nous entoure.
Le centre de gravité de l'association sera la Gâtine et les territoires immédiatement adjacents, mais sans oublier de se fédérer avec tous ceux, ailleurs, qui ont des buts semblables.
Et la technologie dans tout ça ?
Je pense pour ma part que la technologie y est pour beaucoup dans toutes les dérives que l'Humanité est en train de vivre. Sauf que, d'un côté je vis de ça (je suis ingénieur) et de l'autre il s'agit bien d'un outil de domination. Pour ne pas être dominé, il faut la maîtriser. Surtout l'amener à son stricte nécessaire à travers des concepts comme la "low tech" (basse technologie), mais plus généralement à travers la notion de simplicité. Nous sommes devenus vulnérables de par trop de complexité. Rendons les choses simples pour les maîtriser. Comprenons ce que les autres ont créé de complexe, pour le dominer.
J'ai découvert récemment une citation qui m'a profondément plu:
"La perfection est atteinte, non pas lorsqu'il n'y a plus rien à ajouter, mais lorsqu'il n'y a plus rien à retirer"
Antoine de Saint-Exupéry
Tout est dit.
Avertissements
Gestion des conflits d'intérêts
En tant que cofondateur, je dois préciser que, avec mon entreprise, j'ai une activité dans le domaine technologique (informatique, électronique, fabrication numérique, ...) qui est directement liée aux objectifs de l'association. Il est probable que les futurs membres, ainsi que les autres fondateurs, exercent dans le cadre de l'association des activités très en lien avec ce qui les fait vivre par ailleurs.
Il est vrai aussi qu'on peut rencontrer beaucoup d'associations qui, sous couvert d'apport au bien publique, servent de source de revenus pour leurs fondateurs ou membres. Ce n'est pas parce qu'une association est à but non lucratif, qu'il n'existe pas de salariés parfois très bien payés (cas évidemment plutôt rares), ou que l'association ne sert pas à promouvoir des activités bien lucratives, elles.
C'est à ceux qui nous croisent de faire la part des choses. Nous essayerons en tout cas de rester droits. Car le premier bien qu'on peut offrir aux autres, c'est d'être sincère et honnête.
Paradoxes de la gouvernance
L'association est dirigée par un conseil des fondateurs. Ce conseil est constitué des membres ayant fondé l'association, mais aussi de toute personne qu'ils auront choisi de coopter dans ce conseil.
Pas d'assemblée générale, pas de statuts, pas de paperasse. Donc pas de fonds propres à l'association, donc pas d'activité commerciale.
Il s'agit évidemment d'un paradoxe. Mais uniquement un paradoxe apparent. Nous prônons l'autonomie des membres, mais en même temps cette autonomie exige une forme de régulation, quand l'auto-régulation a échoué. Cette régulation se doit d'être cohérente, rapide et efficace.
Sur le modèle des sages d'un clan ou d'une tribu, on peut écouter tout le monde, mais il est inefficace de donner la prime aux palabres. Quiconque a déjà assisté à des AG d'associations, sait à quel point c'est souvent soit une foire d'empoigne, soit une mascarade servant à faire semblant d'avoir un fonctionnement démocratique.
La démocratie ne se décrète pas, elle se pratique. Elle ne consiste pas à dire "moi je sais", mais à ne s'exprimer que si c'est pertinent. A laisser le timide parler et pas donner la prime au tchatcheur. Elle peut exister de facto, parce que le "sage" écoute correctement et agit justement. C'est le rôle du conseil des fondateurs. Libre à chacun de juger si cela lui convient et de partir (ou ne pas venir) le cas échéant.
Un des objectifs déclaré de ce mode de fonctionnement est aussi de mettre de côté l’ego de chacun. Si ego il y a tout de même, cela se traduira par le fait de montrer son savoir faire et pas son savoir palabrer.